La transition énergétique pour réduire notre dépendance aux hydrocarbures est devenue un enjeu majeur, notamment en Europe.. 

Il existe plusieurs pistes, mais certaines, notamment celles liées à l'innovation et à l'intelligence artificielle, méritent d'être développées davantage.  Ces dernières années, l'UE a activement financé les sources d'énergie renouvelables dans le cadre de la transition vers une économie à faible émission de carbone. Jusqu'à présent, cela a été un échec. L'objectif initial, qui était de devenir moins dépendant des combustibles fossiles, n'a pas été atteint. En fait, notre dépendance a augmenté. Les importations de gaz naturel ont augmenté (pour la première fois de notre histoire, nous importons plus de gaz naturel des États-Unis que de la Russie, en raison de la guerre en Ukraine). Des centrales au charbon rouvrent leurs portes par crainte de pénurie (par exemple, Saint-Avold en Moselle). Nous sommes loin de pouvoir réduire les émissions de gaz et l'effet de serre d'au moins 55% d'ici à 2030 par rapport aux niveaux de 1990, comme nous nous y sommes engagés en 2021. Le gaz naturel est le grand gagnant de la transition énergétique en Europe. C'est la triste réalité. Mais les choses peuvent changer avec les derniers développements technologiques.

 

Agir sur l'offre
Comment parvenir à une économie à faible émission de carbone ? Il existe deux leviers principaux : agir sur la demande ou agir sur l'offre. Agir à la demande, c'est consommer mieux, voire moins. C'est le sens de l'appel lancé par les dirigeants d'EDF, Engie et TotalEnergies il y a un peu plus d'une semaine. En termes pratiques, cela s'appelle la décroissance. De nombreux Européens sont prêts à changer leurs habitudes de consommation. Mais pas tous. Peu sont prêts pour un changement radical. En tout état de cause, consommer mieux, voire moins, est un processus qui prendra du temps et qui relève certainement en partie d'un changement de génération. Pour des raisons évidentes, les jeunes générations (la génération X de 1980 à 2000 et la génération Z à partir de 2000) sont plus soucieuses du climat que les baby-boomers.

Agir sur l'offre est un levier plus pertinent et efficace à court terme, selon nous. Cela signifie qu'il faut investir davantage dans les infrastructures énergétiques (y compris les infrastructures de raffinage, qui sont essentielles dans le processus de transition) et dans les nouvelles technologies pour améliorer l'efficacité énergétique et réaliser des gains de productivité. Le champ des possibles dans ce domaine est infini. Les énergies renouvelables non pilotes (solaire et éolienne) sont actuellement peu utiles dans le mix énergétique, car elles ne peuvent pas fournir une source d'énergie constante. Mais la technologie peut aider. Les grands projets industriels cherchent maintenant à résoudre le problème d'intermittence associé à l'énergie éolienne, par exemple. Au lieu d'augmenter le nombre de parcs éoliens offshore connectés individuellement aux réseaux nationaux (ce qui augmente les coûts et réduit l'efficacité du système), l'opérateur électrique néerlandais TenneT promeut l'idée d'îles artificielles en mer du Nord qui serviraient de plaques tournantes pour distribuer l'électricité de manière optimisée aux pays voisins. Il s'agit d'un projet pilote. Il faudra des années pour le déployer. Mais en cas de succès, elle pourrait accélérer l'adoption massive de l'énergie éolienne.

 

Nouvelles avenues technologiques

Les nouvelles technologies sont également prometteuses pour l'émergence d'une économie à faible émission de carbone. La société danoise Copenhagen Atomics construit le premier réacteur à eau lourde au thorium avec des sels fondus. Une fois opérationnel, il sera capable de détruire les déchets nucléaires et pourra être produit en masse. Le thorium est à l'origine d'une révolution dans l'énergie nucléaire. Ce métal, découvert en 1829, est faiblement radioactif, énergétiquement dense (1 kg de thorium équivaut à 3,5 millions de kilos de charbon), quatre fois plus abondant que l'uranium et, surtout, produit moins de déchets que ce dernier (83% du volume des déchets sont neutralisés en dix ans). La Chine prévoit de mettre en service ses premières centrales au thorium d'ici 2030. Grâce à Copenhagen Atomics, l'Europe pourrait rattraper son retard.

Les récentes innovations technologiques offrent également un espoir d'exploiter la puissance de l'océan. La société française Sweet Energy a mis au point une technologie adaptée à l'énergie osmotique, l'énergie produite lorsqu'un flux d'eau douce rencontre un flux d'eau salée. La production générée chaque année au niveau mondial est théoriquement capable de couvrir les besoins de consommation de la planète entière pendant un an. C'est énorme. Le potentiel de l'énergie osmotique a été identifié depuis environ 75 ans. Jusqu'à présent, les technologies développées ont fonctionné, mais elles ont été très coûteuses. Il s'agit de technologies membranaires (en particulier, des flux d'eau douce et d'eau salée sont mis en circulation de manière à créer un échange d'ions dans la membrane). Le coût de fabrication des membranes était trop élevé, rendant la production d'énergie inabordable. La recherche française a récemment réussi à produire des membranes environ dix fois moins chères et dix fois plus efficaces.

 

 

Intelligence artificielle et intermittence de l'énergie

De toutes les technologies susmentionnées, L'intelligence artificielle est sans doute la plus prometteuse à court terme pour résoudre les problèmes d'intermittence inhérents aux énergies éolienne et solaire. Substrate AI travaille avec Canadian Solar, l'une des plus grandes entreprises mondiales dans le domaine de l'énergie solaire et du stockage d'énergie, sur deux projets pilotes, dont l'un devrait entrer en phase commerciale cette année. Le premier projet porte sur la maintenance prédictive, l'un des casse-tête récurrents du secteur de l'énergie. Les onduleurs (qui servent à convertir l'énergie produite en réseau) sont les composants les plus problématiques de la production d'énergie solaire. Quatre facteurs principaux peuvent être à l'origine de pannes : la surutilisation, la surtension et la sous-tension, les vibrations ultrasoniques (qui peuvent provoquer des frottements et endommager les onduleurs) et l'usure des condensateurs (ils ont une durée de vie limitée et vieillissent plus vite que les autres composants, ce qui entraîne une panne de l'onduleur). Lorsque cela se produit, la production d'énergie solaire peut chuter de plus de 20% en moyenne. Grâce à l'intelligence artificielle (dans ce cas, nous parlons de l'apprentissage automatique, qui est capable d'apprendre et de s'adapter aux événements), il est possible de détecter les anomalies et de prévoir les défaillances avant qu'elles ne se produisent dans les onduleurs, évitant ainsi la réduction conséquente de la production. Le résultat est une augmentation de l'efficacité opérationnelle et une réduction significative des coûts.

Prédire l'évolution de la production d'énergie solaire grâce à l'intelligence artificielle est le deuxième angle de recherche. Aujourd'hui, dans la plupart des pays, les négociants achètent et vendent (ou vice versa) l'énergie solaire avant de la livrer aux clients finaux via le réseau. Cela garantit la liquidité du système (ce qui est essentiel, car nous ne pouvons pas prévoir l'évolution de la production). Mais cela augmente le coût final. L'objectif est de désintermédier le marché en permettant aux opérateurs énergétiques de vendre l'énergie directement, à un bon prix (tant pour le producteur que pour le consommateur). Selon des estimations préliminaires, cela pourrait augmenter la rentabilité des installations photovoltaïques de 40% en moyenne. C'est énorme. Mais pour y parvenir, les opérateurs doivent mieux comprendre le fonctionnement de leurs usines et disposer d'un moyen plus fiable de prévoir la production. L'intelligence artificielle est un outil indispensable pour y parvenir.

 

Une transition énergétique inflationniste en Europe

Il reste beaucoup à faire, tant en termes de recherche que d'accès au financement, pour rendre notre économie plus verte. Il s'agit de mieux canaliser les fonds publics et privés vers des projets disruptifs. En France et en Europe, la recherche sur le thorium est encore peu soutenue. Il y a beaucoup de capitaux réservés aux projets d'intelligence artificielle. Fin juin, la start-up française EasyPicky a levé 5 millions d'euros (une application de reconnaissance instantanée basée sur l'intelligence artificielle pour le secteur du commerce de détail). Mais parmi tous ces projets, peu sont consacrés à la question cruciale de la transition énergétique et de l'intermittence. La transition énergétique, telle qu'elle est mise en œuvre en Europe, est inflationniste. Il n'y a pas de débat à ce sujet. Mais si nous parvenons à combiner les progrès de l'intelligence artificielle avec les projets industriels existants dans le domaine de la transition énergétique, nous pourrons faire baisser les coûts de manière durable. Historiquement, les décisions de politique publique en matière d'énergie ont conduit à une inflation plus faible. Pas cette fois, car nous avons privilégié l'idéologie (toutes renouvelables) à la rationalité économique, en négligeant l'importance des avancées technologiques. Heureusement, il est encore temps d'agir et d'inverser la tendance.

Les auteurs : José Iván GarcíaPDG Substrate AI et Christopher Dembikéconomiste et membre du conseil d'administration de Substrate AI.

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